Le médicament comme phénomène social et culturel

Le médicament n’est pas seulement un objet d’étude pour les sciences naturelles et cliniques, il est également un objet social, historique, politique et culturel que les sciences sociales ne manquent pas d’étudier. S’intéressant aux multiples facettes des médicaments, tant au niveau de leur efficacité thérapeutique, de leur circulation, de leur prescription, de leurs usages, de la relation qu’ils créent entre médecin et patient, des attentes, des espoirs et des craintes qu’ils suscitent, les sciences sociales abordent le médicament comme un objet à la fois révélateur de croyances, de pratiques et de phénomènes, et à la fois producteur de nouvelles manières de penser et de faire, de nouvelles identités ou encore de nouvelles socialités.

Prendre un médicament représente bien plus qu’avaler une pilule pour soigner ou guérir un dysfonctionnement corporel. Cela signifie que l’on ingère ou que l’on incorpore les valeurs et la culture de la société dans laquelle on vit.

Collin & Leibing, 2012, p.226

Aborder le médicament comme un objet social implique de s’intéresser aux frontières qui le définissent. À la fois objet concret et abstrait, matériel et symbolique, biologique et social, le médicament est également considéré comme un concept mobilisé en médecine conventionnelle occidentale. Il convient donc, pour les sciences sociales, d’aborder cette facette des médicaments en se penchant notamment sur l’industrie pharmaceutique, les normes scientifiques qui organisent la recherche et la conception, la validation et la mise sur le marché de médicament, les normes guidant les actions des clinicien(ne)s et des différents acteurs et actrices qui jouent un rôle dans la chaîne de production de ces substances.

Si le médicament est un objet résolument médical, les sciences sociales ne doivent toutefois pas se restreindre à cette dimension et à ce mode d’entrée. Toute substance médicale s’inscrit dans un contexte socio-historique bien particulier qu’il convient de mettre à jour. Il s’agit dès lors d’étudier les différents usages qui sont fait de ces substances, dans le cadre médical mais également en dehors, s’intéressant notamment aux usages hors indication (off-label, en anglais), aux usages dits non-médicaux (souvent qualifiés de « mésusages » ou de « détournement »), aux pratiques d’automédication et aux différents objectifs de consommation. Toutes ces questions résonnent avec des enjeux majeurs de santé publique.

Pour aller plus loin :

Collin Johanne, Otero Marcelo et Monnais-Rousselot Laurence éd., 2006, Le médicament au cœur de la socialité contemporaine: regards croisés sur un objet complexe, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Collin Johanne et Leibing Annette, 2012,« Entre le social problématique et le mental pathologique : anxiété, médicaments psychotropes et vieillesse », La réponse de la science médicale au « devenir vieux »: prolongévisme, transhumanisme et biogérontologie, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 225‑244.

La pharmaceuticalisation : médicament et déplacement des frontières

L’extension du domaine pharmaceutique s’est réalisée de manière inédite à l’échelle planétaire par la diffusion des médicaments et des essais cliniques, mais aussi sur les plans plus quotidiens et individuels de la vie sociale : travail, relations sexuelles, réussites scolaires. L’élargissement de l’usage des médicaments et les usages non médicaux montrent aujourd’hui combien le médicament échappe au seul contrôle médical. Le terme « pharmaceuticalisation » désigne précisément la façon dont des moments de la vie deviennent des opportunités pour l’industrie pharmaceutique.

Dans les sociétés contemporaines, le médicament occupe une place majeure, au-delà des finalités thérapeutiques qui lui sont traditionnelle-ment reconnues. D’abord parce que le concept même de thérapeutique s’est considérablement élargi au cours du XXe siècle pour englober désormais très en amont, la prévention (…), et en aval, l’extension des limites corporelles (à travers notamment la médecine régénérative) et l’augmentation de l’humain (Le Dévédec, 2015). Mais également parce que les usages non thérapeutiques – comprendre: en dehors du champ et de l’influence de la médecine – se multiplient à la faveur de l’accroissement considérable de l’arsenal et de sa mise en circulation. En plus de circuler à l’échelle du globe de manière inédite, le médicament colonise aussi toutes les phases de la vie, de la naissance à la mort.

Collin & David, 2016, p.2

Pour aller plus loin :

Collin Johanne et David Pierre-Marie éd., 2016, Vers une pharmaceuticalisation de la société?: Le médicament comme objet social, PUQ.

Le Dévédec Nicolas, 2015, La société de l’amélioration: la perfectibilité humaine des lumières au transhumanisme,